Les citoyens français campent avec les migrants

L’histoire que je vais vous raconter ici met en place une trentaine de jeunes Tunisiens ayant fait le périple depuis leur pays jusqu’à Paris, deux citoyens français et toute une myriade de politiques qui ont choisi l’immobilisme face à l’injustice et aux atteintes à la dignité humaine. 

La problématique est la suivante : hier près d’une centaine de Tunisiens qui occupaient illégalement un local affilié au RCD (l’ancien parti du « président » déchu Ben Ali) faute d’avoir ailleurs où aller ont été expulsés et ce sans qu’aucune solution de logement ou d’aide de quelque ordre que ce soit ne leur soit proposée. Cette expulsion a pour raison la présence de documents compromettants (pour les politiques tunisiens comme français) dans le local en question et la peur de les en voir sortir et révélés à la presse ou utilisés en justice…

La question qui se pose est alors : qu’est ce que l’on fait lorsque l’on est simple citoyen et que l’on voit ainsi les droits de l’Homme (qui s’appliquent à tous les humains et pas uniquement aux franco-français jusqu’à preuve du contraire) foulés au pied pour protéger quelques politiciens ayant de toutes façons ouvertement pratiqué la complaisance depuis plus de vingt ans avec un régime qui lui-même, déjà, opprimait sa population. Comment se battre pour que des humains, composés de chair, d’os, et de pas mal d’autres choses soient reconnus en tant que tels et pas juste en tant qu’indésirables ou que potentiels dangers pour des bouts de papiers et des disques durs (dont certains ont de toutes façons déjà été extraits) ?

La seule solution que nous avons trouvé est la suivante : puisque la chair, l’os, et tout le reste ne suffisent pas, nous allons y rajouter ce que les Hommes politiques aiment plus que cela : des cartes d’électeurs, des citoyens français…

C’est ainsi que Elisabeth (@MsTeshi) et moi-même (@Paul_da_Silva) avons décidé de nous joindre à ces tunisiens, en tout point semblables à nous autres humains désirables sur le sol français, et de subir (presque) les mêmes conditions qu’eux. Tout ce que nous vivons nous le publions en direct sur Twitter, au fur et à mesure de la journée et en marquant de brèves pauses pour aller recharger les batteries. Du matin au soir, et même pendant la nuit où nous allons (et avons déjà commencé) camper avec ces gens (par ailleurs formidables) dans le parc qui est actuellement leur seul refuge.

Je vais essayer de publier un papier comme celui-ci tous les jours, en espérant que la fatigue ne m’emporte pas trop, lors de courtes pauses dédiées à cela dans notre rythme de réfugiés.

Comprenez bien que nous préférerions chacun dormir chez nous et que les Tunisiens avec qui nous avons sympathisé soient traités correctement, mais après avoir contacté l’ambassade, la mairie de Paris, la mairie de l’arrondissement et la région Île de France sans qu’aucune solution ne soit proposée pour mieux loger les Tunisiens nous avons décidé d’inverser la balance et de nous nous mettre au niveau de vie qu’on leur impose.

La journée d’hier fut riche en rebondissement, laissez moi vous la raconter.

Alors que j’avais prévu de passer la journée sur un salon (Pas Sage en Seine), je suivais en simultané sur mon téléphones les nouvelles de Botzaris (#Botzaris36) et lorsque j’ai vu qu’une plaque avait été posée sur le bâtiment maintenant vide de ses occupants

Ambassade de Tunisie « annexe »

J’ai eu peur que la situation ne dégénère et ai donc quitté le salon pour retourner sur place. Arrivé vers 15 heures, tout le monde me salue et m’accueille poliment. Nous discutons un peu avec tout le monde et découvrons qu’une journaliste a enfin fait le déplacement et qu’elle est aussi intéressée par le sort des migrants et non uniquement par celui des documents. Nous discutons donc un certain temps, et résumons notamment les épisodes de la nuit.

Aux alentours d’une heure du matin, alors que les Tunisiens étaient endormis dans le parc, et que la mairie était au courant de cela, une patrouille de police est arrivée les réveiller, lampe torche au poing. Ceci a eu pour effet d’en agacer certains et la mayonnaise est rapidement montée jusqu’à se transformer en gaz lacrymogène. Bilan : 3 mineurs à l’hôpital pour la nuit…

On a aussi une information selon laquelle deux autres Tunisiens sont en garde à vue, ce qui est illégal pour un immigré en France depuis peu et ne peut donc signifier que centre de rétention… Dure nouvelle…

Nous nous retirons dans un café pour recharger les téléphones et parler plus calmement avec la journaliste. La discussion se passe bien, nous lui donnons tout ce que nous pouvons lui donner et la remercions très chaleureusement d’être venue. Comprenez que seule la médiatisation de l’affaire peut permettre de la débloquer autrement que dans un affrontement contre-productif…

Tout ce temps la pluie bat et nous trouvons abri sous les arbres du parc ou sous une bâche que la sureté de Paris va nous demander d’enlever pour ne pas gâcher le paysage…

On passera sur les évènements de la vie quotidienne suivants, la galère à s’organiser pour répartir les maigres ressources alimentaires, la quête pour décrocher un ballon pris dans la charpente d’une tonnelle qui nous sert aussi d’abri, …

Arrivent deux équipes de télévision : France 2 et France 3.

Les deux nous consultent directement, nous leur expliquons en détail ce qui se passe et l’équipe de France 3 essaye de rentrer (sous la caméra de France 2) et se fait bien entendu refouler. Partant de là et sachant qu’il n’y aura aucun document à diffuser à l’antenne, ils partent…

A l’opposé la journaliste de France 3 va effectuer un travail considérable pendant au moins deux heures, discuter en arabe avec les Tunisiens sur place, filmer les tentatives de tractation des uns avec les autres, jusqu’à ce que les vigiles décident de sortir et de donner l’assaut sur les quelques jeunes présents ici, allant jusqu’à en prendre un à la gorge. La police ayant été vraisemblablement appelée (elle commence à bien connaître l’adresse je pense) elle arrive très vite et calme les vigiles. Dans le même temps nous expliquons aux policiers la situation. Ils sont très compréhensifs et nous demandent juste d’arrêter d’essayer de discuter avec les gardiens qui n’en ont visiblement pas envie.

Peu après et alors que la police est partie et que les vigiles sont rentrés, ce sont deux voitures de la sécurité de la mairie de Paris que nous repérons stationnées en contrebas dans le parc. En courant on y arrive vite, pour constater que les véhicules sont vides et que leurs occupants ne sont visibles nul part. Nous remontons voir ce qui se trame en haut avant de redescendre à nouveau en courant en voyant le nombre des voitures doubler et leurs occupants bien présents pour le coup.

Il s’avère en fait qu’ils ne souhaitaient que faire respecter le règlement et ainsi demander à ce que l’on ne consomme pas d’alcool dans le parc et que l’on range le drapeau tunisien. Ces consignes seront respectées et tout se fera dans la bonne entente des deux côtés…

Un des tunisiens avec lequel j’ai le plus discuté vient alors me voir et me dit plein de gêne qu’il a faim et qu’ils n’ont presque plus rien à manger. Je lance un appel sur Twitter qui restera malheureusement sans réponse jusqu’à ce qu’un des soutiens que l’on connait bien revienne les bras chargés de pain et de nourriture à mettre dedans pour faire des sandwichs…

A nouveau nous voyons deux journalistes (c’est la première fois que nous en voyons autant en si peu de temps) dans un café et en profitons pour recharger les batteries des téléphones en discutant à la fois des tunisiens, des documents et de notre démarche. L’un des journalistes va rester avec nous une bonne partie de la soirée et partir très tard.

C’est pendant que ce journaliste fait une prise d’image de l’autre côté de la grille du parc que les vigiles en profitent pour faire sortir une camionnette de la cour du bâtiment. Personne n’a pu voir si elle était chargée et/ou si elle transportait des gens. Elle n’est pas revenue à l’heure où j’écris…

La Sureté de Paris viendra plus tard, vers 22h, nous demander de quitter le parc pour la fermeture. Nous leur expliquons que cela est impossible, que personne ne posera de souci et que l’on souhaite être enfermés dans le parc. Ils finiront, à force de négociation, par accepter.

Vers 23h / minuit nous décidons de rester avec Elisabeth et de passer la nuit dans le parc. Elle sera agitée et si nous avons grappillé 10 minutes de sommeil chacun c’est un grand maximum. Dormir à même le sol est très inconfortable, nous ne l’avions pas prévu (elle était en robe et moi en veste de costume – que je peux d’ailleurs mettre à la poubelle), il pleut par intermittence et les arbres ne nous protègent que partiellement, il fait froid, … J’essaye de dormir assis contre un arbre, un de nos amis tunisien va insister pendant près de 20mn pour que je prenne sa place allongé : « vous êtes notre invité ! » – j’aimerai pouvoir lui répondre qu’eux sont les invités de la France !

A 4h20, pris par le froid nous allons marcher un peu et en passant aux abords du 36 les chiens commencent à hurler. Dix minutes plus tard une voiture de police est sur place… Une personne viendra finalement nous parler, son visage nous est familier, ses questions sont orientées et il a l’air horriblement frais pour l’heure avancée de la nuit… De là à dire qu’il s’agirait d’un policier en civil comme il en circule nuit et jour à Botzaris…

A 6 heures et après avoir visité le parc presque vide et encore fermé pendant le lever de soleil, nous allons recharger à nouveau les batteries de nos téléphones – les nôtres sont bien à plat…

Le 17/06/2011

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